Mythe n°9 – L’esprit critique ne peut être enseigné

L’esprit critique ne s’exerce pas de manière abstraite, et il ne se limite pas à des capacités générales (voir Mythe n°7, Mythe n°8). Au contraire, l’esprit critique s’exerce sur des contenus bien concrets. C’est en abordant des questions précises que nous pouvons comprendre l’intérêt d’adopter certaines attitudes ou de mobiliser certains savoir-faire. Un contexte de réflexion est donc indispensable, même s’il constitue en même temps un obstacle au transfert, car l’apprenant y reste ancré. Si nous choisissions un thème d’apprentissage comme les OGM, nous aurions plus l’impression de développer des connaissances sur cette thématique que d’acquérir des outils de raisonnement de portée générale. Or, c’est précisément l’objectif visé.

Comprendre par l’exemple

Vous n’auriez pas pu apprendre à conduire sans vous exercer dans un contexte particulier (conduire une voiture à la campagne par exemple). Ce contexte est ce qui a permis votre apprentissage : vous avez appris à cerner les obstacles de cette activité, vous avez décliné les conseils et les stratégies que l’on vous a transmis dans ce cadre bien précis pour vous les approprier. Cependant, plus le transfert à un autre contexte est éloigné, plus l’exercice de vos compétences est délicat (conduire une voiture en ville, conduire une moto sur du sable…). Cela ne veut pas dire que vous n’avez pas appris à conduire plus généralement : vous devez cependant, dans chaque situation nouvellement rencontrée, apprendre à reconnaître celles qui correspondent à la situation d’apprentissage et adapter vos outils et vos stratégies au nouveau contexte, voire en développer de nouveaux s’ils ne fonctionnent plus.

Apprendre à évaluer l’information est donc certainement une tâche difficile, très dépendante du contexte dans lequel elle s’exerce. Comment, face à ce constat, espérer améliorer son esprit critique ? En outillant notre esprit critique. Une première étape consiste à prendre conscience de nos capacités naturelles d’évaluation de l’information et de calibration de la confiance (voir Mythe n°3). Ensuite, une deuxième étape consiste à appréhender leurs limites (voir Mythe n°2, Mythe n°4). Enfin, il s’agit d’apprendre à utiliser des outils et des critères spécifiques permettant de reconnaître des sources d’information réellement expertes (voir Mythe n°11) ou de distinguer une preuve de bonne qualité d’une preuve moins fiable : une meilleure compréhension du fonctionnement de la science peut nous aider précisément ici. Nous évoquions le piège des corrélations non causales (voir Mythe n°4). Pour cela, la science a mis en place une stratégie (le protocole expérimental) qui permet précisément d’établir avec plus de certitude un lien causal que le simple constat d’une corrélation. Choisir, entre deux affirmations, celle qui est soutenue par les meilleures preuves, c’est par exemple opter pour une affirmation basée sur une preuve expérimentale plutôt que sur une simple corrélation.

Nous n’avons pas besoin de mobiliser ces critères tout le temps et en toute circonstance. Mais il est utile de parvenir à un niveau de maîtrise suffisant pour être capable de les transférer d’une situation à une autre, en les adaptant au contexte. Il est pour cela nécessaire d’exercer son esprit critique afin que le transfert vers des situations nouvelles soit facilité, notamment dans certaines situations de la vie quotidienne. Nous chercherons ainsi à mobiliser de manière volontaire et répétée un savoir-faire donné, à le remobiliser en changeant de contexte et de contenu, à identifier les aspects communs de différents problèmes sans nous arrêter aux contextes, etc.

Comprendre par l’exemple

Si vous êtes passionné de sport, il vous est probablement déjà arrivé de suivre avec préoccupation les variations de performance de l’un des joueurs de votre équipe. « Il avait tellement bien joué en début de championnat : que se passe-t-il soudainement ? Serait-ce un problème physique ? Sa motivation n’est-elle plus la même ? » L’enseignant se pose des questions similaires à propos des performances d’un élève, l’économiste à propos d’une variation des prix du marché…

Lorsque nous évaluons la plausibilité de nos explications, nous pensons rarement au fait que ce type de phénomènes peut être le simple fait du hasard : si la bonne performance est un écart chanceux à la moyenne, il est probable que l’événement suivant sera une performance moins bonne que la précédente, et inversement. On parle de « régression à la moyenne ». Sans retirer tout crédit à nos explications, ajouter, dans notre boîte à outils du raisonnement, le concept de « régression à la moyenne » peut nous aider à mieux calibrer notre confiance dans certaines explications.

Citons un autre exemple : nous repérons des « coïncidences » très facilement… trop peut-être Deux événement malencontreux surviennent un lundi matin et nous en déduisons qu’il nous arrive toujours des mauvaises choses en début de semaine. Pourtant, nous savons que recourir à des observations multiples et calculer des moyennes est une procédure plus fiable. En portant notre regard sur nos modalités de raisonnement, en réalisant le rôle de certains outils pour corriger leurs limites, nous pouvons a minima nous préparer à changer d’avis si des arguments plus fiables nous sont présentés.

Volontairement, les exemples choisis sont sans enjeux. Nous pouvons nous appuyer sur de tels exemples pour comprendre le rôle de certains outils. Mais le réel objectif d’une amélioration de l’esprit critique est de nous permettre de mobiliser de tels outils quand les enjeux le justifient.