Mythe n°5 – L’esprit critique, c’est être prêt à douter de tout, à tout critiquer
Il est facile et tentant de confondre un esprit critique et un esprit de critique. Avertis de l’existence de fausses informations, nous pourrions vouloir porter un regard suspicieux sur la moindre information, indifféremment du sujet ou de la source de l’information. Nous nous mettrions alors à douter du récit lu sur Internet, comme de celui donné par l’enseignant nous douterions du journaliste, du médecin, et du scientifique. Ces manières de ne pas être capable de distinguer différents niveaux de preuve, ou de fiabilité des sources d’information, et de considérer l’incertitude ou la faillibilité comme des raisons pour rejeter la connaissance sont très délétères. Ce type de raisonnement, favorable à des considérations complotistes, est à l’opposé d’un « bon » esprit critique.

Comprendre par l’exemple
Il est utile de savoir que la « stratégie du doute » est devenue un outil puissant utilisé à des fins de manipulation de l’opinion publique. Cette stratégie a notamment été adoptée pour décrédibiliser les résultats scientifiques massivement concordants concernant l’effet du tabac sur la santé ou les effets des activités humaines sur le réchauffement climatique.
Dans les deux cas, les résultats étaient très convaincants du point de vue des preuves scientifiques. Les opposants ont donc cherché à convaincre le grand public et les décideurs que, même si ces résultats n’étaient pas faux, ils n’étaient pas la « seule vérité », que l’opinion des scientifiques n’était pas consensuelle, qu’il était important d’être sûr à 100 % avant de prendre d’importantes décisions. Dans le cas du tabac, cela a induit le retard d’une prise de conscience sociétale de ses effets sur la santé, pourtant avérés d’un point de vue scientifique. Avec un indéniable impact en termes de vies humaines à la clé.
Est-il seulement possible d’être sûr à 100 %, d’exclure toute possibilité d’erreur même minuscule ? Certainement pas dans le domaine des sciences, où chaque affirmation s’accompagne d’un degré d’incertitude. Ne nous trompons pas : cela ne veut pas dire que « les scientifiques ne sont jamais sûrs de rien ». Bien au contraire, la déclaration du degré d’incertitude devrait nous rassurer : elle montre que les scientifiques savent quantifier le risque de se tromper lorsqu’ils affirment quelque chose.
Ce risque dépend de la méthode qu’ils ont utilisée, de la quantité et de la qualité des données obtenues, de la possibilité d’exclure toutes les explications alternatives à celle fournie. Un degré de confiance élevé nous indique qu’il est très improbable que la connaissance soit invalidée dans les années à venir, et qu’il est donc raisonnable de baser nos décisions de société sur cette connaissance. Certaines connaissances sont aujourd’hui d’une robustesse si forte que nous pouvons les considérer comme certaines : la Terre tourne autour du Soleil les espèces sont soumises à la sélection naturelle la Terre connaît actuellement un réchauffement climatique… Ce type de considérations est crucial pour outiller notre esprit critique : ne nous mettons pas dans la position de douter de tout et devenons plutôt capables de juger les informations les unes par rapport aux autres, de les ordonner selon leur qualité et de nous appuyer sur les meilleures possibles pour asseoir nos positions et nos décisions.