Mythe n°4 – L’esprit critique nous fait défaut ? C’est la faute aux médias !
Le manque d’esprit critique serait un problème contemporain et s’expliquerait par la modification très soudaine du monde des médias et de l’information. La propagation des fake-news, contre lesquelles nous aurions peu d’outils pour nous défendre (voir Mythe n°1), nous rendrait vulnérables. Si tel était le cas, la pédagogie de l’esprit critique devrait être entièrement tournée vers la lecture des informations sur Internet et l’identification des « bonnes » sources d’information.

En réalité, nous n’avons pas besoin des médias – ni même des autres – pour développer des raisonnements imparfaits ou biaisés. Nous n’avons besoin de personne pour nous amener à détecter des coïncidences troublantes ou, au contraire, pour nous convaincre que notre porte bonheur est la solution à tous nos problèmes Notre raisonnement s’appuie sur des heuristiques – des opérations de raisonnement silencieuses – qui nous permettent de raisonner rapidement et, la plupart du temps, efficacement, mais qui nous induisent en erreur dans certaines conditions (voir Mythe n°2). Mieux comprendre ses outils naturels de raisonnement et les conditions dans lesquelles ils sont mis en défaut peut nous donner des stratégies afin de consolider notre esprit critique.
Comprendre par l’exemple

Petit défi. Observez cette image. Elle représente sur l’axe vertical le nombre de prix Nobel par habitant dans un pays donné (voyez les drapeaux correspondants) et sur l’axe horizontal la quantité de chocolat consommé par habitant dans ce même pays. Se dessine une sorte de droite oblique qui associe positivement les deux facteurs : on parle d’une corrélation positive. Pensez quelques instants à ce qu’elle peut représenter.
Peut-être vous êtes-vous dit : que consommer du chocolat pouvait augmenter le nombre de prix Nobel dans un pays ? Que consommer du chocolat pourrait rendre les gens plus intelligents ? Que vous aviez enfin trouvé une raison justifiant d’avoir englouti toutes ces bonnes tablettes de chocolat… Vous avez peut-être fait l’effort de vous limiter à constater que, dans les pays où on consomme plus de chocolat, on a aussi un plus grand nombre de lauréats du prix Nobel ? C’est en réalité assez difficile de s’empêcher de penser, au moins un instant, aux conclusions présentées plus haut. Même si nous sourions souvent une fois que nous prenons conscience de l’idée qui a germé en nous
Depuis 2012, Internet regorge de titres évocateurs autour de ce graphique. L’année de parution de l’article original est déjà lointaine, mais les échos virtuels ne se tarissent pas : « Pour décrocher un prix Nobel, mangez du chocolat » « Le prix Nobel : un prix en chocolat ? » « QI. Chocolat : le péché mignon des prix Nobel ? » Et pourtant, jamais il n’a été dit que même dans les pays consommateurs de chocolat les futurs lauréats du prix consomment, eux aussi, du chocolat…
Tout en sachant qu’une corrélation n’implique pas un lien de causalité, l’interprétation causale (consommer le chocolat serait la cause, devenir intelligent sa conséquence) est presque irrésistible. L’identification d’une corrélation (c’est-à-dire la variation concomitante de deux phénomènes) est un mécanisme que nous utilisons en permanence pour chercher des explications aux événements ayant lieu autour de nous. Nous notons ainsi des corrélations dans n’importe quel domaine et tendons à les utiliser comme des indices de causalité. C’est une intuition qui a dû sauver la vie à nombre de nos ancêtres aux prises avec une multiplicité d’événements potentiellement dangereux Pensez à la situation suivante : deux chasseurs-cueilleurs mangent des champignons qu’ils ont cueillis ensemble. D’un coup, le premier tombe raide mort. Est-ce ce à cause des champignons ? À vrai dire, la seule information que le survivant dispose est le constat d’une corrélation… Mais s’il infère de là un rapport causal, il aura probablement la vie sauve (et le ventre vide certes, le coût d’une inférence qui serait fausse… cela reste moins risqué). Comme pour la reconnaissance des visages (voir Mythe 2), notre capacité à réaliser des inférences de cause-effet est utile à la survie. Cependant, les deux peuvent, dans certaines circonstances, nous induire en erreur. Deux phénomènes peuvent en effet survenir en même temps sans qu’il y ait un lien direct de cause à effet. Dans le cas du chocolat, il est plus probable que le niveau de vie des pays explique à la fois l’accès à de longues études et à une ressource alimentaire chère comme le chocolat. La corrélation n’est pas un indice parfait de causalité.