Mythe n°3 – L’esprit critique, ce n’est pas pour les enfants

Pour certains, l’esprit critique serait un exercice réservé aux adultes : les enfants découvriraient naïvement le monde autour d’eux, et ils ne pourraient se questionner sur la validité des informations et des sources que plus tard. Allons regarder du côté des expériences menées chez les enfants, même les très jeunes. Les sciences cognitives ont découvert des capacités inattendues chez les bébés, en premier lieu des capacités de construction des connaissances, de raisonnement, d’explication et d’apprentissage. Une somme de compétences qui forme un esprit « scientifique » naturel, mais aussi un certain esprit de sociologue et de psychologue : les jeunes enfants savent spontanément observer, recueillir de l’information et l’utiliser par eux-mêmes ils savent aussi s’appuyer sur les autres pour accéder de manière moins coûteuse à l’information. Mais ils ne s’arrêtent pas là : ils ont aussi un esprit « critique » naturel car, en plus de récolter de l’information, ils sont capables de l’évaluer et d’établir si elle est de qualité suffisante pour mériter leur confiance. Par exemple, ils comparent différentes sources d’information et choisissent la plus fiable selon certains critères qu’ils utilisent spontanément : familiarité, expertise, consensus…

Mais alors… que se passe-t-il à l’âge adulte ? Comment est-il possible, à la lumière de ces capacités précoces, que nous tombions dans des pièges de raisonnement qui nous amènent à considérer comme vraies des croyances populaires, des rumeurs infondées, voire des théories complotistes pourtant surprenantes ? La réponse est présentée dans le Mythe n°4.

Comprendre par l’exemple

Voyons quelques exemples démonstratifs des capacités précoces des enfants en termes d’esprit critique. Suivez-nous dans un laboratoire de psychologie du développement où se déroulent des expériences de « confiance sélective ». Dans cette expérience, des enfants scolarisés en maternelle les regardent deux vidéos. Dans chacune, un adulte se réfère à des objets ou à leurs fonctions. Les deux adultes proposent des noms différents pour l’un des nouveaux objets. Par exemple, l’adulte A appelle l’objet un « snegg », l’adulte B un « hoog ». Ils demandent ensuite à l’enfant : « Quel est le nom de l’objet “inconnu” ? »

Nous savons que l’adulte A est un adulte familier pour l’enfant (un enseignant de son école) et l’adulte B un enseignant d’une autre école. Résultat : les enfants de 3 à 5 ans montrent une préférence pour l’adulte qui leur est le plus familier. Conclusion : les enfants ne choisissent pas leur informant au hasard mais ont recours à un indice, celui de la familiarité, pour opérer leur choix.

Dans la deuxième expérience, conduite avec des enfants de 3 à 4 ans, les deux informants (cette fois non familiers de l’enfant) doivent d’abord nommer des objets communs, connus de l’enfant. L’un des deux adultes se trompe en nommant ces objets (par exemple, il appelle « balle » une tasse). L’enfant doit ensuite demander le nom d’un objet nouveau et inconnu. Vers qui se tournera-t-il ? Il décide de se tourner vers l’adulte qui ne s’est pas trompé avec les objets connus. Si les deux adultes fournissent des noms différents pour le même objet inconnu, l’enfant choisit le nom fourni par l’adulte qu’il juge mieux informé. L’enfant oriente donc ses choix sur la base des compétences montrées par l’adulte et suit l’adulte plus compétent. Mais la compétence est-elle plus ou moins importante que la familiarité pour lui comme critère d’évaluation ? Cela dépend en réalité de son âge.

Une troisième expérience permet de comparer les effets de la familiarité et ceux de la justesse. L’enfant est face à un informant familier mais apparemment non compétent pour les objets connus et à un informant non familier mais compétent. Pour les enfants de 3 ans, le fait que l’adulte familier commette des erreurs n’est pas suffisant pour lui retirer sa confiance. Au contraire, pour les enfants de 5 ans, le fait d’être correct devient une condition de confiance plus importante que la familiarité. Les jeunes enfants sont donc capables de combiner plusieurs critères d’évaluation qu’ils acquièrent progressivement.

Enfin, les enfants sont expérimentalement confrontés à un cas de désaccord entre deux adultes : l’un des deux reçoit l’approbation d’autres adultes témoins de la scène, et l’autre non. Dans ce cas, les enfants accordent sélectivement leur confiance aux adultes qui reçoivent l’approbation du plus grand nombre.