Mythe n°11 – L’esprit critique est un état d’esprit

Quand nous parlons d’esprit critique – et le terme lui-même amène à cette idée, nous avons l’impression d’avoir à faire uniquement à un état d’esprit. L’esprit critique serait avant tout une attitude que nous développerions et que nous affinerions grâce à l’apprentissage. L’esprit critique correspond aussi à cette attitude, mais il ne s’y limite pas. En effet, pour exercer notre esprit critique, nous avons besoin de nous doter d’outils (voir Mythe n°9).

Le scientifique, lui-même, est porteur de cet état d’esprit, de cette attitude rigoureuse. Mais il s’appuie aussi et surtout sur une boîte à outils qui guide son raisonnement vers moins d’erreurs.

Au cours de l’histoire, notre culture s’est progressivement dotée d’outils nouveaux, comme la méthode scientifique, qui permettent de réduire nos chances d’erreurs dans la connaissance du monde externe (des outils mathématiques statistiques, des outils pour l’analyse des arguments…). Connaître ces outils – et penser à les insérer dans notre boîte à outils naturelle – permet de mieux évaluer les informations à notre disposition et de mieux calibrer notre confiance.

Exercer son esprit critique ne demande pas de savoir mettre en place un protocole scientifique, ni de calculer des statistiques ni de produire des argumentations sans faille. Cependant, ces connaissances aident à établir des critères pour évaluer l’information de manière plus fiable. Par exemple, en étudiant les méthodes de la science, nous apprenons à reconnaître des informations fondées sur des preuves solides, et à les distinguer d’opinions soutenues par des sources moins fiables. En apprenant les outils statistiques, nous prenons en compte le hasard dans les explications qui nous sont fournies ou que nous fournissons, et nous ne cherchons pas à atteindre des certitudes absolues, mais plutôt à prendre des décisions sur la base des meilleures informations à notre disposition. En apprenant à fabriquer et à lire des diagrammes, nous augmentons notre capacité à raisonner sur des données et à les prendre en compte en les visualisant plus facilement. Les indices qui nous permettent de reconnaître des preuves de différente qualité, les outils statistiques et les représentations externes comme les diagrammes constituent autant de critères et d’artefacts sophistiqués et adaptés pour évaluer l’information de manière plus juste.

Cette conception de l’esprit critique correspond à une vision de la cognition qui serait en quelque sorte étendue de manière à y inclure, en plus de nos capacités et attitudes naturelles, les différents acquis culturels et artefacts qui nous permettent d’en améliorer les performances. Faire preuve d’esprit critique combine donc une attitude – visant l’évaluation éclairée des informations à notre disposition – mais aussi les outils pour y parvenir.

Comprendre par l’exemple

La pyramide des preuves constitue un exemple d’artefact externe permettant d’évaluer les preuves disponibles, afin de guider la prise de décision. C’est un outil relativement récent et introduit en médecine pour hiérarchiser les preuves en faveur ou en défaveur d’une certaine intervention (un traitement par exemple) sur la base des méthodes de recherche ayant permis de l’évaluer. Nous considérons que certaines méthodes produisent des résultats de manière plus objective que d’autres, sont moins influencées par des circonstances externes que d’autres…

La pyramide des preuves est un outil pratique et son objectif est pragmatique. Son invention est motivée par le constat que les praticiens (les médecins dans ce cas) sont de plus en plus noyés dans l’information. Comment savoir si cette information est capable de justifier le recours à un certain traitement, ou si ce traitement est suffisamment prouvé pour être recommandé ? Il est impossible pour un médecin de rechercher toutes les études publiées en la matière, de les lire, de prêter attention aux méthodes utilisées, et de se construire seul une opinion éclairée. La pyramide des preuves est là pour l’aider à visualiser rapidement la qualité des preuves disponibles. Et donc le degré de confiance qu’il doit accorder au traitement en question.

Au sommet de la pyramide sont présentés les résultats obtenus par les méthodes les plus rigoureuses possibles et à même de maintenir sous contrôle biais et facteurs confondants. Ce sont des synthèses de l’ensemble des études respectant les critères les plus rigoureux. Au milieu de la pyramide se placent différentes formes d’études qui ne mettent en place que des contrôles partiels. Au plus bas niveau de la pyramide se trouvent les opinions informées par des connaissances d’ordre plus général, mais non soutenues par des études qui mettent à l’épreuve spécifiquement l’hypothèse en question.