Mythe n°10 – L’esprit critique, c’est mener des grandes croisades contre les pseudo-sciences

Il peut être tentant de percevoir l’esprit critique comme une méthode pour lutter contre les grands courants complotistes et l’irrationalité de notre société (celle des autres bien sûr). Nous pouvons voir l’esprit critique comme un outil centré sur des questions aux enjeux de société forts. Le risque est de déplacer l’esprit critique sur un terrain purement polémique.

Nous n’affirmons pas que forger l’esprit critique n’a pas également vocation à accompagner la réflexion autour de telles problématiques. Cependant, leur cadre n’est pas favorable au développement de l’esprit critique. Les personnes moralement engagées dans une thèse ne sont souvent que peu réceptives à un « appel à plus d’esprit critique » car d’autres enjeux que ceux de la recherche de la vérité sont généralement présents sur ce type de sujet.

Il est certainement plus efficace d’abandonner dans un premier temps l’image de l’esprit critique comme un rempart face aux grandes théories du complot. Presque chaque tâche du quotidien nous amène à prendre des décisions ou à formuler nos opinions. La plupart du temps, nos modalités de raisonnement sont largement suffisantes. Mais, de temps en temps, nous pouvons être mis en défaut. Celui qui cherche à développer son esprit critique doit avoir en tête les éléments de réflexion suivants : pour quelles raisons n’avons-nous pas pu raisonner correctement ? Le contexte ? Un manque de connaissances ? Comment pourrions-nous perfectionner nos outils du raisonnement pour ne plus être induits en erreur à l’avenir ou du moins faire en sorte de reconnaître une idée meilleure et changer de point de vue le cas échéant ?

Dès lors que nous posséderons convenablement ces outils de raisonnement, nous pourrons plus facilement les mobiliser sur le terrain cahoteux des grands complots. Et même alors, nous devrons nous souvenir que l’exercice de l’esprit critique doit plutôt être associé à la motivation de prendre des décisions qui nous semblent meilleures vis-à-vis de nos objectifs, plutôt qu’à condamner ceux qui s’enferment dans des raisonnements erronés.

Comprendre par l’exemple

M. a de bonnes connaissances en ornithologie et il travaille sur un projet de sciences autour des méthodes scientifiques du suivi de la biodiversité. Le projet s’appuie sur des pièges caméra, prenant des photos des animaux qui se posent à proximité. Un jour, M. reçoit la photo d’une collègue. Sur la photo, il distingue une chouette posée sur la caméra, en plein jour qui plus est M. est d’abord content puis légèrement douteux : une chouette à cet endroit, en plein jour… Ce n’est pas très plausible. Mais pourquoi sa collègue aurait-elle menti ? Pour lui faire une blague ? Ils ne se connaissent pas assez… M. cherche quand même des signes de trucage sur la photo. Rien. Et puis, quel bonheur une telle photo

Hélas, l’information est fausse et, contre toute attente, le fruit d’un canular : il s’agit d’une chouette empaillée. M. n’avait pas pensé à cette possibilité. Après avoir exclu la possibilité d’un trucage informatique, il avait donc évalué l’information comme étant de bonne qualité et sa confiance en cette évaluation l’avait amené à la partager. C’est alors qu’il a compris qu’il avait été victime d’une erreur d’évaluation et d’une mauvaise calibration de sa confiance.

Est-ce là la preuve d’un manque d’esprit critique ? Oui et non Bien sûr, les éléments suspicieux auraient dû amener M à chercher plus d’informations, à exiger de sa collègue des précisions… Mais il n’est pas possible à chaque instant de ne pas accorder sa confiance. Mieux : étant préparé par ses connaissances, il s’est révélé très facile d’accepter l’hypothèse de la chouette empaillée dès qu’elle a été suggérée par une autre personne. Il peut être coûteux d’admettre que nous avons eu tort, que nous nous sommes faits avoir, ou que nous avons pris des décisions basées sur de mauvaises informations. Nous le ferions de manière plus évidente si nous possédions les connaissances et les outils qui rendent plus accessibles les bonnes interprétations. Une simple discussion pourrait alors nous amener à réaliser que nous n’utilisions pas les bons critères, ou que nous avions donné trop de poids à certains du fait de la situation. Être prêt à reconnaître ses torts lorsque des arguments pertinents sont donnés est le signe d’un esprit critique efficace.