Mythe n°1 – L’esprit critique, on sait tous ce que c’est

Le premier mythe consiste à penser qu’il existe une définition partagée, intuitive, de l’esprit critique et que nous pouvons facilement nous mettre d’accord sur le but et les modalités d’un tel enseignement. Il existe en réalité une variété d’approches et de visions. Certains prônent une éducation fortement axée sur l’apprentissage de l’utilisation des médias et notamment des nouvelles formes de médias. Il s’agit alors par exemple de démonter certaines fausses informations, pour aider les élèves à se protéger du monde des fake news. Pour d’autres, l’objectif des apprentissages de l’esprit critique consiste à faire barrage à des idées « indésirables » : complotistes, mais aussi xénophobes, sexistes… (voir Mythe n°4).

Dans ces approches, l’accent est mis sur l’idée de se protéger des fausses informations comme si elles représentaient une menace externe contre laquelle nous ne pourrions pas lutter. Autrement dit, nous serions naturellement dépourvus d’un esprit critique suffisant pour éviter d’être
leurrés par des esprits malveillants. Une autre vision, assez répandue, est celle selon laquelle nous serions également incapables de nous départir de nos idées, de changer de position, ou d’accepter les choses pour ce qu’elles sont. Nous serions donc à la fois bernés par les autres, et repliés sur nous-mêmes… Sombre image de nos capacités cognitives.

Naturellement, il y a du vrai dans cette image : si tout était parfait, si nous ne commettions pas d’erreurs dans l’évaluation des informations, si nous étions toujours capables d’accorder notre confiance de manière raisonnée, nous n’aurions nul besoin de parler d’esprit critique. C’est bien parce que nous avons des limites et qu’elles ont des conséquences à l’échelle de la société que nous nous interrogeons sur nos capacités naturelles. Cependant, nous verrons que nous avons, d’une certaine façon, un sens inné de l’évaluation critique des autres et de leurs idées. Cette vision de l’esprit critique constitue donc une vision plus optimiste que celle que nous avons l’habitude d’entendre.

Comprendre par l’exemple

Anticipons avec un petit exemple. Vous marchez en forêt, il commence à faire noir. Vos pas se font plus incertains. Vous redoublez d’attention, vérifiez chacune de vos observations avant d’emprunter un chemin. Quelque chose vous dit, sans besoin de vous l’expliciter, que dans les conditions actuelles vous devez faire moins confiance à votre vue qu’à l’accoutumée, que vous avez besoin d’informations de sources différentes – l’ouïe peut-être – avant de vous décider sur le prochain chemin à prendre. Il suffira de très peu, dans ces conditions, pour que vous soyez prêt à revenir sur vos pas…

Sans y penser et sans même le vouloir, vous avez fait usage de votre esprit critique – tel que nous le considérons ici : vous ne vous êtes pas limité à utiliser les informations à votre disposition pour prendre une décision, mais vous les avez évaluées sur la base de leur fiabilité, et vous avez ajusté votre confiance par rapport à la valeur des informations à disposition. Ceci vous a amené à prendre plus de temps et à récolter un surplus d’informations de sources diverses. Remarquez que l’ensemble des informations concernées dans cette expérience de pensée viennent de vous-mêmes : vous êtes – à travers vos sens – la source de l’information.

Nous aurions pu prendre en considération un cas où l’information vient de quelqu’un d’autre, un cas d’information de seconde main. Nous aurions vu à l’œuvre des processus analogues, spontanés, d’évaluation de la source et du contenu de l’information dans le contexte donné.