Construire une représentation simplifiée de la réalité
Même si vous n’en avons pas conscience, nous avons, depuis notre plus tendre enfance, des connaissances intuitives sur le monde qui nous entoure et sa manière de fonctionner. C’est ainsi que nous construisons notre perception du monde. Certes cette perception ne correspond pas en tout point à la réalité. Mais elle est suffisante pour nous permettre de comprendre notre environnement et d’interagir avec lui.
Faites-le vous-même
Voici un dispositif que l’on vous montre en vidéo : une table sur laquelle on place deux éléments verticaux, qui occupent toute sa largeur.

On place maintenant un panneau, en vue de rendre invisible une partie du dispositif.

On lance maintenant une balle sur la table, puis le panneau est relevé et…

Quelque chose cloche, n’est-ce pas ?
Débriefing
La « surprise » que vous avez ressentie en découvrant la troisième image est la conséquence de ce fonctionnement. Il y a un décalage entre l’attente que vous vous étiez faite de la situation et ce qui s’est finalement passé. Cette surprise est d’autant plus forte qu’elle bouscule des règles de physique que vous connaissez. Des enfants âgés de deux à cinq mois se montrent également « surpris » (en regardant plus longtemps ce type d’événements, plutôt que d’autres, « normaux ») : nous avons des attentes sur le monde depuis notre plus jeune âge.
Ces attentes, ce sont des règles relatives au monde qui nous entoure : les objets physiques, les êtres vivants, les membres de notre espèce… Ces principes nous sont indispensables. Ils nous permettent d’évoluer efficacement dans un environnement changeant : la voiture ou le chien qui vient vers nous, la personne qui nous donne des indications… Nous réagissons à tous ces éléments de manière quasi spontanée.
De tels raccourcis, s’ils ont le mérite de nous faire réagir rapidement, peuvent aussi nous induire en erreur. En construisant une représentation simplifiée du monde, nous avons tendance à négliger la complexité des phénomènes qui nous entourent et à proposer des explications parfois simplistes à ce qui se passe autour de nous. Nous nous appuyons également sur un nombre limité d’informations immédiatement disponibles et ne faisons pas l’effort de rechercher davantage de données.
Ce que font les scientifiques
La société mobilise le monde de la science pour élaborer des prédictions dans différents domaines : comment va évoluer le climat de la planète dans les dix ou cent prochaines années ? Le nombre de cancers va-t-il augmenter ou diminuer ? Comment va évoluer la biodiversité dans tel pays ? Que va devenir telle population animale en danger ? Les réponses à de telles questions peuvent nous permettre de prendre aujourd’hui les bonnes décisions.
Pour ce faire, les scientifiques doivent avoir une image assez précise des phénomènes qu’ils étudient et qu’ils cherchent à prédire. Ils construisent donc des modèles, qui sont des représentations simplifiées de ces phénomènes, à partir des connaissances qu’ils en ont.
La modélisation peut se faire via des équations qui intègrent des variables explicatives (par exemple, le taux de mortalité et de natalité, si on cherche à prédire l’effectif de la population humaine) et une connaissance de la manière avec laquelle le système varie dans le temps ou dans l’espace. Si on connaît l’état initial d’un système et sa façon d’évoluer (par exemple, la position et la trajectoire d’un astéroïde géocroiseur), alors on peut déterminer l’état du système à un moment donné.
La modélisation peut également se faire par des simulations numériques. Quand on connaît les mécanismes d’interaction entre les éléments du système (par exemple, comment des individus vont interagir entre eux, comment des individus peuvent se contaminer, etc…) on peut s’appuyer sur des algorithmes qui vont simuler, de manière graphique ou non, l’évolution dudit système. Bien sûr, comme tous ces phénomènes sont soumis au hasard, deux simulations ne donneront jamais exactement la même issue. On doit donc réaliser la simulation un très grand nombre de fois pour percevoir des tendances significatives qu’on exprimera sous la forme de probabilités (par exemple, quelle est la probabilité qu’une épidémie éclate si on applique telle mesure préventive ?). Le rôle des statistiques est indispensable pour interpréter de tels résultats de simulation.
Une histoire de science

Comment faire face à un risque de pandémie (une épidémie qui serait d’ampleur mondiale) ? Lors de la phase initiale de lutte contre les épidémies, les médicaments antiviraux représentent une ressource cruciale pour réduire la mortalité en l’absence de vaccin et endiguer le risque de pandémie. L’utilisation d’antiviraux peut se faire de façon thérapeutique ou prophylactique. Les stocks d’antiviraux dépendent principalement du niveau de préparation du pays face à une menace pandémique et ils sont ainsi très inégalement répartis d’un territoire à l’autre : seuls 20 pays disposent actuellement d’une réserve suffisante d’antiviraux, au regard des recommandations de l’OMS. Avec les taux de production actuels, il est raisonnable de penser que les médicaments ne seront pas disponibles en quantité suffisante, ni répartis équitablement entre les pays, dans l’éventualité d’une future pandémie majeure. Des chercheurs ont établi un modèle d’évolution d’une épidémie avec, au menu, trois scénarios : dans le premier, seul un nombre restreint de pays disposent de stocks suffisants pour traiter 10 % de leur population ; dans les deux autres, les pays redistribuent 10 ou 20 % de leur réserve, pour un usage international. Dans les scénarios coopératifs (même limités à une redistribution fixée à 10 %), le pic d’infection est reporté d’au moins un an. Cette stratégie se révèle même bénéfique pour les pays qui ont partagé une partie de leurs ressources. Le succès d’une telle stratégie coopérative implique cependant l’adoption d’une perspective globale de la lutte contre la pandémie, avec un effort coordonné de la communauté internationale et de l’OMS, plutôt qu’une stratégie unilatérale, où les pays agissent de manière individuelle, en exploitant leurs propres ressources.
Source : Colizza (V.) et al., Modeling the worldwide spread of pandemic influenza: baseline case and containment interventions, Plos Medicine, January 2007, Volume 4, Issue 1, e13
Pour éduquer l’esprit critique
Même si les outils des scientifiques sont à notre portée, il est intéressant pour un citoyen de comprendre les grands principes de la modélisation, afin de construire une confiance éclairée vis-à-vis des connaissances de la science : les modèles sont le produit d’outils et de méthodes dont disposent les scientifiques et qui leur permettent d’étudier des phénomènes complexes, impossibles à appréhender avec nos outils « naturels ». Nous pouvons ainsi avoir des intuitions sur l’évolution possible de notre planète, de notre société ou d’une situation de crise, comme une épidémie… Mais ces dernières sont peu légitimes car elles ne prennent pas en considération toutes les difficultés inhérentes à un exercice tel que la prédiction de phénomènes aléatoires et multifactoriels. Comprendre le fonctionnement de la science permet de développer une attitude de prudence et d’humilité, préalable à une confiance éclairée.
Activités pour la classe
Les outils de la modélisation sont peu abordés de manière explicite en cours de sciences. Ils constituent pourtant de précieux outils en la matière et peuvent être enseignés en tant que tels pour permettre aux élèves de comprendre comment la science fonctionne, notamment quand l’expérimentation se révèle impossible (épidémiologie, écologie des populations, astronomie, météorologie, climatologie…).
- Séquence : Pandémie (à partir du cycle 4)