Avoir recours aux autres pour lutter contre une tendance naturelle à confirmer ses idées
Vous aurez remarqué à maintes reprises combien il est difficile de faire changer d’idée quelqu’un. Une personne qui aurait peur de voyager par les airs, par exemple, saura apporter de nombreux exemples d’accidents d’avions. Un nouveau drame se produit, un scandale plane sur une compagnie aérienne, et il verra ses peurs se confirmer. Vous allez peut-être insister, chiffres à l’appui, sur le niveau de sécurité de l’avion par rapport à d’autres moyens de transport plus anodins, comme la voiture, mais vos statistiques risquent d’avoir peu d’effets sur votre interlocuteur. En fait, elles ne lui sembleront pas aussi convaincantes ou parlantes que ses propres données. Vous voilà confronté à différentes facettes du biais de confirmation !
Faites-le vous-même
Monsieur A n’aime pas attraper de rhumes en hiver car cela le met de mauvaise humeur. Pour s’en prémunir, il est adepte d’un remède : la vitamine G7. L’ami de Monsieur A aime lui adresser des informations qu’il trouve sur Internet. Monsieur A reçoit donc successivement dans sa boîte mail un article qui vante les bienfaits de la vitamine G7 et un autre qui précise que les recherches actuelles ne permettent pas de faire le lien entre la prise de cette vitamine et une quelconque protection contre le rhume.
Comment réagiriez-vous à la place de Monsieur A ?
Si jusqu’ici vous étiez coutumier d’un certain remède, seriez-vous prêt à arrêter de le prendre du jour au lendemain parce qu’un ami vous présente des faits scientifiques démontrant son inefficacité ?
Débriefing
Il est difficile de remettre en question, du moins dans un temps court, les décisions que nous avons prises et suivies jusqu’ici, même à la lumière de faits solides. Nous pouvons spontanément avoir tendance à ne pas accorder le même poids (la même valeur, la même bienveillance, la même écoute) aux idées qui divergent ou qui risquent d’entrer en conflit avec les nôtres, par rapport à celles qui vont dans notre sens. Ainsi, Monsieur A peut décider que l’article qui vante les bienfaits de la vitamine G7 fournit des arguments plus solides que le second, même si ce n’est en réalité pas le cas. Les psychologues appellent cette attitude de fermeture aux idées émanant des autres le « biais de confirmation ».
Ce que font les scientifiques
L’activité scientifique est structurée pour contrôler les effets du biais de confirmation. Chaque connaissance scientifique, issue de travaux de recherche, est présentée à la communauté (les autres scientifiques, en priorité) sous la forme d’un article de recherche, publié dans une revue dédiée. Tout au long de sa production, les chercheurs ont déjà eu des retours informels de la part de leurs collègues et/ou de leur chef d’équipe : rares sont ceux qui travaillent en autarcie. Pour obtenir le droit d’être édité, un article va devoir franchir de nouveaux obstacles : il est ainsi soumis, par la revue qui évalue la possibilité de le publier, à deux ou trois relecteurs. Ces derniers ont pour mission d’analyser dans le détail les hypothèses, méthodes et résultats présentés dans le texte. Ils pourront alors suggérer aux auteurs d’apporter des modifications plus ou moins importantes, voire de mener à nouveau une partie des expériences décrites ou de modifier les outils adoptés pour l’analyse des données.
Le rôle de l’évaluation par les pairs (« peer reviewing ») est très important dans la science moderne. Son apparition dans le panorama de la science, au XIXe siècle, marque une évolution majeure dans les méthodes de validation des connaissances. La communication orale entre chercheurs ne suffit plus. La communauté scientifique est devenue trop vaste, ses contenus, mais aussi les méthodes adoptées dans chaque discipline, trop spécialisés. Il devient impossible d’évaluer la qualité d’un travail scientifique au premier coup d’œil. Un système de contrôle social sur les résultats de la recherche s’est imposé, et c’est l’institution britannique Royal Society qui, la première, a mis en place un processus de relecture par des pairs. Cette démarche est aujourd’hui souvent critiquée, car le travail d’analyse des recherches d’autrui demande un temps et des efforts qui ne sont pas toujours possibles dans l’emploi du temps limité des chercheurs.
Une histoire de science

Dans certaines disciplines, des communautés entières de chercheurs se sont associées pour former des groupes de travail. C’est le cas des auteurs des rapports du GIEC, le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, qui a pour mission d’évaluer l’état des connaissances sur l’évolution du climat, ses causes, ses impacts. Il identifie également les possibilités de limiter l’ampleur du réchauffement et la gravité de ses impacts et de s’adapter aux changements attendus. Les rapports du GIEC fournissent un état des lieux régulier des connaissances les plus avancées. Cette production scientifique est au cœur des négociations internationales sur le climat. Elle est aussi fondamentale pour alerter les décideurs et la société civile. En France, de nombreuses équipes de recherche travaillent sur ces sujets, impliquant plusieurs centaines de scientifiques[1]. Au total, la rédaction des rapports repose sur 2 500 experts scientifiques et relecteurs, et sur plus de 130 000 commentaires formulés pour en améliorer le contenu ! Le « peer reviewing » est en train d’acquérir une nouvelle dimension.
[1] Ministère de la Transition écologique et solidaire, Mieux comprendre le GIEC, 2018. Disponible en ligne.
Pour éduquer l’esprit critique
La démarche des scientifiques peut être étendue à notre vie de tous les jours. Quand chercher des failles dans ses arguments devient difficile, il faut se tourner vers les autres : en effet, très souvent, il sera plus facile pour une personne qui ne partage pas nos idées de nous faire réaliser et dépasser certaines erreurs dans notre jugement.
Ce procédé peut être appliqué dans de nombreuses disciplines : on peut utiliser une démarche historique pour identifier des cas où on s’est entêté dans une pensée, malgré les preuves contraires.
Lors de débats où des groupes d’élèves font des affirmations opposées, la classe peut se mettre d’accord sur la manière à employer pour départager les deux camps. Une recherche documentaire peut montrer qu’un des deux groupes a effectivement raison. L’exercice est difficile, car il est délicat de reconnaître que l’on s’est trompé. Cependant, il est possible de comprendre qu’il vaut mieux admettre sa méprise (il arrive à tout le monde de se tromper), plutôt que de s’entêter dans une pensée erronée, qui nous amènera à prendre de mauvaises décisions. La force du travail de groupe est de repérer nos erreurs et de discuter plus sereinement, en s’appuyant sur les meilleures informations existantes.
Activité pour la classe
- Séquence : Dans la peau de Syms Covington – Activité 3 (à partir du cycle 4)