Outiller l’observation pour la rendre plus objective

Nos sens sont des outils d’observation puissants et efficaces. Cependant, ils ne nous restituent pas nécessairement  une image de la réalité parfaitement objective –dépourvue de biais subjectifs, d’influences indésirables. Outiller l’observation signifie s’appuyer sur des aides externes. Celles-ci peuvent permettre de gagner en précision, de dépasser les limites de nos sens – par exemple, dans la dimension du très éloigné ou du très petit –, mais aussi de contrôler certaines influences subjectives, et donc de garantir plus d’objectivité.

Faites-le vous-mêmes

Voici une illusion perceptive : les tables de Shepard. Devinez ce qu’elles ont de particulier !

Débriefing

Ces deux tables sont de même longueur et de même largeur. Le fait de le savoir ne change rien à notre perception : l’illusion persiste ! Notre système perceptif est un système très performant d’appréciation de la réalité, et les illusions sont, finalement, un phénomène rare. Notre perception n’est cependant pas calibrée pour restituer une image fidèle et objective, mais plutôt pour résoudre des tâches concrètes, comme s’orienter, éviter les dangers, rechercher de la nourriture… Car c’est ce genre de problèmes qui a contraint l’évolution de nos fonctions perceptives au cours de millions d’années ; et non le besoin de produire une représentation qui correspondrait en tout point aux objets physiques de notre monde.

Une seule solution : prendre une règle graduée !

Ce que font les scientifiques

Les scientifiques ont, pour leur part, recours à des instruments, souvent sophistiqués, pour guider leurs observations. L’objectif de la mesure et des instruments d’objectivation est de diminuer l’influence des considérations subjectives, mais aussi celle du contexte sur l’observation.

Bien entendu, ces instruments ne peuvent pas supprimer toute incertitude. Quel que soit celui qui est utilisé, une incertitude pourra persister.

Pour venir à bout de ce problème, les scientifiques ont différentes stratégies qu’ils utilisent de manière complémentaire : multiplier les observations, améliorer l’étalonnage de leurs instruments, tenir compte des erreurs systématiques pour les compenser et utiliser des méthodes d’observation complémentaires indépendantes pour ne pas être influencés par les défauts d’une seule méthode. Et, naturellement, mesurer et déclarer l’incertitude qui subsiste, même après que les stratégies indiquées ont été mises en place.

Une histoire de science

Les astronomes spécialisés dans la détection de planètes en orbite autour d’autres étoiles que le Soleil ont développé plusieurs méthodes. L’une d’entre elles consiste à mesurer la petite diminution d’éclat de l’étoile quand une planète passe devant son disque et masque donc une partie de la lumière émise par celle-ci. Cette diminution et sa répétition donnent des informations importantes sur la planète, comme sa taille et la dimension de son orbite. La réduction d’éclat étant souvent très faible, des instruments très sensibles sont nécessaires. Mais même avec des télescopes de grande taille, qui recueillent beaucoup de lumière, et des détecteurs très performants, des effets comme la variation de transmission de l’atmosphère terrestre limitent la précision de la mesure. Pour l’améliorer, l’astronome va multiplier le nombre de ces mesures et effectuer des évaluations simultanées sur des étoiles proches, afin de comparer leurs variations à celles de l’étoile cible. Il va aussi comparer la forme de la variation de l’éclat de l’étoile aux prédictions théoriques qui sont basées sur la bonne connaissance que l’on a de la façon dont la brillance varie sur le bord d’une étoile. Enfin, il pourra utiliser une autre méthode de détection indépendante, comme mesurer des petites variations de la vitesse de l’étoile, induites par la présence de la planète.

Il existe des instruments beaucoup plus simples, avec lesquels vous pourrez faire l’expérience de la valeur apportée par un outil de support à l’observation. L’un d’eux est le cyanomètre. Imaginez avoir une discussion sur la couleur du ciel aujourd’hui. « Bleu » est un terme assez vague qui ne va pas vous permettre de faire la distinction entre un ciel voilé et un bleu d’une belle intensité. En outre, vous pourrez être influencé par la lumière réfléchie par un nuage. En 1789, Horace Bénédict de Saussure invente le cyanomètre. Son but est précisément de mesurer la couleur du ciel – ou du moins de rendre un peu plus objectif son jugement. Le cyanomètre est un instrument de mesure qui comporte 53 gradations de bleu, arrangées en cercle. L’observateur pointe le cyanomètre en direction du ciel, en isole la partie à juger et en compare la couleur à celles rapportées sur le cyanomètre. Un petit pas vers plus d’objectivité !

Pour éduquer l’esprit critique

La mesure est notamment présente dans les cours de sciences et de mathématiques. On peut exploiter différentes situations pour évoquer non seulement ses bienfaits, mais aussi ses différentes sources (l’observateur, la mesure, l’instrument…) et la notion d’incertitude. Par exemple, lors des séances de TP de sciences, les résultats obtenus par les différents groupes divergent souvent ! La science est dans une démarche permanente d’amélioration de ses stratégies et de ses outils pour quantifier et réduire l’incertitude associée à ses résultats. Et c’est parce qu’elle dispose de tels éléments que nous pouvons avoir confiance dans ses conclusions. Et si tout résultat scientifique est associé à une valeur d’incertitude, il s’agit d’un gage de confiance et non le signe d’un doute pesant sur lui, car cela quantifie la solidité du fait établi (fiable à 90 %, à 95 %, voire à 99 % ou plus, selon les questions).

Mais sciences et mathématiques ne sont pas les seuls domaines où on peut explorer ces concepts.

En arts plastiques, par exemple, on pourra travailler sur certaines illusions d’optique, illustrant ainsi les limites du réalisme de notre perception. Non pas pour insister sur notre caractère « imparfait », mais pour prendre conscience que l’observation que l’on se fait du monde n’est pas assimilable à un enregistrement fidèle en tout point à la réalité.

En histoire comme en géographie, on pourra se pencher sur l’importance des données quantitatives, afin de discuter de façon plus objective de l’impact d’un phénomène donné sur une population ou un territoire. Par exemple, si on veut évoquer l’impact de l’arrivée du tourisme dans un pays en développement, énumérer les conséquences ne suffit pas (augmentation des postes de travail, des parcs naturels, réduction des fermes…). Il faut pour cela ajouter des données quantitatives qui permettent de jauger plus objectivement les bénéfices et les effets indésirables. On se demandera aussi comment ces données sont obtenues et quelle est leur signification dans le cadre global. Cela permettra de mieux justifier sa position à l’écrit ou dans un débat argumenté.

Activités pour la classe