Multiplier le nombre d’observations pour généraliser
Dès lors que nous observons plusieurs fois un phénomène se répéter, nous sommes capables d’y percevoir une régularité et, de là, d’en extraire une règle ou un principe commun, et de le généraliser. Repérer des régularités dans notre environnement nous permet d’anticiper le futur (« le Soleil se lèvera demain ») et nous pousse à trouver des explications. Mais combien d’observations faudrait-il pour être sûr de ne pas se tromper, pour ne pas généraliser à tort ? Parfois, nous passons très vite d’un nombre limité d’observations à des généralisations.
Faites-le vous-même
Vous venez d’arriver dans un nouveau pays et vous empruntez pour la première fois les transports en commun. La gare est bondée et vous devez laisser passer plusieurs trains avant de pouvoir, enfin, monter dans le vôtre. Une fois sorti de ce mauvais pas, vous écrivez à vos proches. Choisissez la formulation qui vous parle le plus :
- a) J’ai vécu une véritable galère dans les transports en commun !
- b) Les transports en commun, c’est une catastrophe dans ce pays !
Débriefing
Les deux formulations vous sont certainement familières. Vous pouvez vous exprimer sur l’événement, tel que l’avez ponctuellement vécu, ou… en tirer une généralité hâtive, de manière plus ou moins consciente ! Impossible en effet de savoir si les difficultés rencontrées ce jour-là témoignent d’un phénomène récurrent ou si elles sont le fait de conditions exceptionnelles – une grève, un accident ou, tout simplement, un nombre de voyageurs plus important.
Il est assez naturel de généraliser à partir d’un petit nombre d’informations ou de données. En résumé, cela donne : « J’ai connu deux Italiens. Ils étaient sympas. Les Italiens sont sympas. » Lorsque nous avons une certaine expérience dans un domaine, nous évitons ce piège. Nous savons par exemple qu’il faut juger la performance d’un élève à plusieurs reprises pour avoir un jugement plus juste. Cependant, un manque de vigilance peut nous amener à considérer comme vraies des conclusions issues de peu d’observations. L’argument est un classique chez les climato-sceptiques : une vague de froid de quelques jours et on se précipite pour clamer que le réchauffement climatique est impossible à défendre face à une telle preuve. La confusion entre météorologie (étude des phénomènes et conditions atmosphériques sur des temps courts) et climatologie (évolution de l’atmosphère sur des temps longs) repose notamment sur notre façon de considérer des observations répétées en nombre limité (quelques jours) comme des preuves tangibles.
Ce que font les scientifiques
Les scientifiques s’appuient sur des protocoles qui les contraignent à multiplier leurs observations, afin de limiter le risque d’erreur dans la généralisation. Que ce soit sur le terrain ou en laboratoire, les observations et les expérimentations sont ainsi multipliées pour tenir compte du caractère aléatoire du monde naturel, des erreurs qui peuvent s’introduire dans une mesure, des conditions dans lesquelles l’observation est menée. Plus le phénomène étudié est rare ou soumis à de nombreuses causes, plus le contexte est complexe, et plus il est nécessaire de multiplier les observations pour parvenir à le déceler et à le caractériser avec fiabilité.
Chaque science comportant ses propres spécificités, les méthodes de multiplication des observations peuvent varier largement d’une discipline, et même d’un contenu étudié, à l’autre. Dans certains cas, on s’efforce de produire plusieurs fois un même événement et d’en enregistrer systématiquement les effets. C’est le cas des expériences en physique ou en chimie. Dans d’autres cas, on s’efforce d’inclure dans son expérience un grand nombre de sujets, tous soumis au même événement et aux mêmes facteurs. Par exemple, en médecine, on commence par observer les effets d’un médicament sur un petit nombre de sujets ; une fois établi que les effets indésirables sont acceptables, on élargit l’échantillon à un plus grand nombre de volontaires, puis à un nombre encore plus grand. Et cette même séquence est idéalement reproduite à plusieurs endroits, par plusieurs laboratoires différents. Une autre façon de multiplier les observations est de les répéter dans le temps.
Une histoire de science
On voit parfois circuler des photos choquantes, destinées à véhiculer un message fort : la photo d’un ours polaire particulièrement amaigri, érigé comme un symbole des effets du réchauffement climatique, a ainsi été diffusée sur les réseaux sociaux. Mais comment établir le lien entre le réchauffement climatique et le devenir des ours polaires ? Certainement pas en observant un seul individu qui pourrait être affamé pour diverses raisons (maladie, vieillesse…). Les scientifiques qui s’intéressent aux ours polaires travaillent donc sur de nombreux individus, pendant plusieurs années. On peut même croiser les données issues de populations vivant à différents endroits du monde. Sarah Cubaynes, spécialiste de l’ours polaire, évoque ses missions en Arctique et les méthodes employées pour parvenir à une connaissance fiable du sujet.
Pour éduquer l’esprit critique
Il est difficile, par exemple en menant des expériences ou des observations en classe, de faire autrement que de s’appuyer sur un nombre limité d’observations pour généraliser un savoir. Mais il est possible de préciser à l’élève qu’au-delà des quelques observations menées en classe, beaucoup de données valident la théorie ou la thèse que l’on est en train de défendre.
En cours de sciences expérimentales, on pourra constater les écarts obtenus entre deux groupes d’élèves, et souligner l’importance de mettre en commun toutes les données obtenues par la classe pour parvenir à une conclusion plus fiable.
En cours d’éducation physique et sportive, on peut vouloir évaluer l’importance d’une technique (par exemple, un saut ou un lancer particulier) ou l’efficacité d’un sportif. Dans ce cas, on ne pourra pas s’appuyer sur une observation unique ! La performance peut être ratée, sans lien direct avec la technique employée ou le sportif qui l’a réalisée. Il s’agit peut-être d’une simple question de malchance. Seules des observations répétées pourront permettre d’arriver à une conclusion fiable. Le Fosbury-flop, une technique de saut en hauteur, s’est par exemple imposé, au fil des essais, comme la méthode la plus efficace pour accomplir des performances de qualité.
En histoire-géographie, l’enseignant pourra aborder l’idée selon laquelle la connaissance ne se fonde pas sur des constats anecdotiques, basés sur quelques observations éparses. Il pourra alors présenter une sélection de données, témoignages et sources utilisés par les historiens et les géographes pour parvenir à leurs conclusions.
En cours de lettres, on pourra traiter de la généralisation hâtive à partir d’exemples littéraires ou de la vie quotidienne. Chaque culture a son lot de stéréotypes : « Les Italiens font ceci ; les Français sont comme cela ». Il ne sera pas difficile de travailler sur un texte où un personnage porte un tel jugement hâtif.
L’éducation aux médias est un cadre idéal pour parler de la multiplication des sources d’information comme condition de fiabilité. L’enseignant pourra faire découvrir le métier de journaliste d’enquête en portant l’attention sur la vérification et la multiplication des observations qu’un bon professionnel est amené à conduire.
Activités pour la classe
- Séquence : À la recherche de régularités – Activité 2 (à partir du cycle 2)
- Séquence : L’hirondelle et la grenouille (à partir du cycle 3)
- Séquence : Menace sur la biodiversité ? (à partir du cycle 4)
- Séquence : Bons et mauvais arguments (à partir du cycle 4)
- Enquête : Les moineaux domestiques disparaissent-ils de Paris ?
- Enquête : Dans quel milieu vit le lynx boréal ?
- Enquête : Un ours affamé ne fait pas le réchauffement climatique
- Enquête : Il faut sauver le bois