S’interroger sur la réalité d’un phénomène
Un phénomène surprenant est un phénomène que nous ne savons pas immédiatement expliquer ou justifier. Il bouscule nos attentes et ne s’inscrit pas dans nos connaissances. Les événements surprenants attirent facilement notre attention – comme tout ce qui est nouveau pour nous – et sont susceptibles de nous obliger à mettre à jour nos opinions et savoirs préalables. Mais est-ce que cela se justifie toujours ?
Faites-le vous-même
Lors d’une émission de télévision, un magicien annonce avoir un super-pouvoir : il peut faire exploser des ampoules à distance ! Et il va d’ailleurs s’y employer en direct. Les ampoules des téléspectateurs n’ont qu’à bien se tenir ! Suivie par un million de foyers, l’émission est un succès. Au cours du programme télévisé, 32 000 personnes vont appeler le standard pour témoigner : « Ça marche, la preuve est là ! L’homme a un pouvoir indéniable ! »
Sans vous lancer dans un calcul inutile, essayez donc de donner une explication au phénomène observé ! (Mais si le cœur vous en dit, sachez que l’émission dure deux heures, qu’une ampoule a une durée de vie limitée de 1 000 heures et qu’il y a 16 ampoules en moyenne par foyer.)
Débriefing
Pour vraiment attribuer un super-pouvoir au magicien, on doit détecter un effet supplémentaire de son action par rapport à un taux de base d’explosions d’ampoules. Avec un million de foyers devant le petit écran et, de fait, 16 millions d’ampoules concernées, il est logique qu’un certain nombre d’entre elles rendent l’âme durant les deux heures du programme télévisé. Ne pas prêter attention à une ampoule qui grille au cours d’une soirée est naturel. Mais coupler un événement aussi anecdotique avec les millions d’autres ampoules concernées par le défi est très contre-intuitif. Quand on tient compte de ces deux informations, nous réalisons que les 32 000 appels de téléspectateurs allaient de soi ! (Bien entendu, cela peut être plus ou moins le résultat d’un simple hasard !) Il n’y a donc rien de bien mystérieux dans cette affaire !
Lorsqu’on vous communique une information, il est naturel de se focaliser sur celle-ci. Des nombres particulièrement marquants dans un contexte donné (95 %, 32 000 personnes) suffisent à nous convaincre de l’existence d’un phénomène. Or, dans la plupart de ces situations, il serait nécessaire d’en savoir plus…
Ce que font les scientifiques
Les scientifiques mettent en place des stratégies dédiées, afin de vérifier si un phénomène observé est bien réel, et s’il n’est pas un simple artefact expérimental ou l’effet du hasard.
Dans la plupart des situations où on étudie un phénomène (par exemple, dans le cadre d’un sondage ou du suivi d’une population animale), on dispose d’un nombre limité de données : il s’agit de l’échantillon. Si on souhaite connaître la proportion de garçons (ou de républicains) dans une population, on doit compter le nombre exact de garçons (ou de républicains) et le diviser par le nombre total d’individus : il s’agit d’une fréquence. Mais s’il est impossible de réaliser une enquête exhaustive, nous allons devoir réaliser ce calcul de la fréquence sur un échantillon, puis estimer la valeur réelle dans la population d’origine. Le choix du panel est tout sauf anodin : il doit être suffisamment important et représentatif de la population étudiée pour ne pas introduire de biais. Mais comment passer ensuite de la mesure de la fréquence dans l’échantillon à l’estimation de la proportion dans la population totale ? Le passage de la mesure effectuée sur un échantillon à l’estimation de la valeur au niveau de la population est une extrapolation et comporte donc une marge d’incertitude. Cette incertitude peut cependant être calculée et déclarée. Ainsi, il est possible de déclarer qu’il y a 95 % de chances que la valeur recherchée soit comprise entre la valeur « x » et la valeur « y ». On appelle l’intervalle qui sépare la valeur « x » et la valeur « y » un intervalle de confiance. La taille de l’intervalle dépend directement de la taille de l’échantillon initial : plus il est grand, plus l’incertitude est faible.
Il nous arrive d’observer des phénomènes que nous jugeons surprenants, car peu probables à nos yeux. Si je lance un dé que l’on me présente comme non truqué et que j’observe, sur 100 lancers, une moitié de six, je risque de faire plus que suspecter que mon interlocuteur triche. Si trois incidents de trains surviennent le même jour, je vais chercher les causes. Sont-ils dus à la canicule en cours, à un souci particulier sur la ligne… ? Mais ces phénomènes sont-ils vraiment la preuve que quelque chose d’anormal (une pièce truquée, une cause externe) est à l’œuvre ? Pour reprendre l’exemple du dé, je ne peux pas m’attendre à voir, sur 100 lancers, exactement un sixième (16 ou 17) de « 6 ». La valeur exacte (la fréquence calculée) va fluctuer du fait du hasard. Bien que nous soyons conscients de la possibilité d’une telle fluctuation, nous nous hâtons d’y voir des signes (un enchaînement de trois lancers de « 6 », par exemple, va immédiatement attirer notre attention). Pour définir avec rigueur l’ensemble des valeurs qu’il est probable d’attendre, même avec un dé non truqué, on peut calculer l’intervalle de fluctuation. Il nous donne une plage qui doit contenir un certain pourcentage (souvent 95 %) des valeurs attendues si l’hypothèse « non truquée » ne doit pas être rejetée. Si la fréquence obtenue n’appartient pas à l’intervalle de fluctuation, on doit rejeter l’hypothèse « non truquée », avec un risque de se tromper préalablement défini (souvent 5 %, parfois moins ; c’est d’ailleurs le cas dans certaines études médicales où les enjeux sont importants, ou dans certaines disciplines comme la physique des particules). Si la fréquence obtenue appartient à l’intervalle de fluctuation, on ne peut pas rejeter l’hypothèse.
Pour éduquer l’esprit critique
Les stratégies mises en place par les scientifiques ne sont pas à notre portée dans la vie de tous les jours. Il est cependant utile d’être averti et de réagir avec prudence face à des phénomènes surprenants, qui semblent sortir de la normalité ou défier des explications naturelles. Il s’agit de se demander si d’autres explications moins exotiques sont possibles et, notamment, si le phénomène observé est réellement si spécial. Bon nombre de cas de ce genre sont de mise en réalité. Lors de la Coupe du monde de football 2010, un poulpe, appelé Paul, avait été signalé comme étant une sorte d’oracle capable de prédire la plupart des résultats des matchs à venir. Ses pouvoirs pouvaient sembler incroyables si on ne considérait que ses performances, mais devenaient beaucoup moins « surnaturels » face à l’observation suivante : partout dans le monde, de nombreux animaux avaient été soumis au même défi que Paul. Leurs résultats, bien plus décevants, n’étaient cependant pas rendus publics et seuls les « exploits » de Paul – fruits du hasard, au regard du vaste échantillon d’essais par différents animaux – faisaient la Une. Depuis, aucun autre Paul le poulpe n’a pu être identifié. Mais nous sommes confiants : tôt ou tard, le hasard créera l’illusion de nouveaux prodiges ! D’autres faits « prodigieux » ont des explications moins innocentes : tromperies, mensonges ou simple volonté de se tromper se font également la part belle. Kluger Hans – ou Hans le Malin – est le nom d’un cheval devenu célèbre au début du XXe siècle pour son épatante capacité à compter avec son sabot, en donnant la solution de calculs relativement compliqués, et d’autres exploits du même acabit. L’explication retenue est que Hans avait appris à interpréter des signaux émis involontairement par son maître, ce qui lui permettait d’obtenir les bonnes réponses.
Voici un exemple humoristique de l’importance d’un test rigoureux, lorsqu’il s’agit de déceler des compétences extrasensorielles :
Activités pour la classe
En mathématiques, les statistiques sont abordées dès le cycle 4. Ces notions ne sont pas assez soulignées dans les disciplines scientifiques, où le hasard, bien qu’omniprésent dès qu’on s’attaque au réel, est négligé. Certes, l’objectif poursuivi en science est de donner du sens et d’interpréter ce que l’on observe. Mais il s’agit d’une tâche difficile qui doit être guidée par une approche mathématique, sans quoi on risque de chercher (et de trouver !) des causes là où il n’y en a pas. Dans notre vie quotidienne, le hasard joue aussi un très grand rôle. Même si on ne peut pas s’appuyer sur des outils mathématiques dans notre vie de tous les jours, il est nécessaire de réaliser que le hasard peut nous amener à voir des choses qui n’existent pas et d’être capable de changer d’idées si des données attestent qu’un risque que l’on redoutait n’est en fait pas réel. L’enseignement croisé des mathématiques et des sciences tout au long du cycle 3 et, surtout, du cycle 4, puis du lycée, peuvent permettre d’initier les élèves à ces notions.
- Séquence : L’ampoule – Étape 5
- Séquence : L’hirondelle et la grenouille
- Séquence : Une meurtrière invisible – Activité 1