Décrire de manière rigoureuse
Lorsque nous observons le monde, il est naturel de vouloir donner immédiatement du sens à ce que l’on découvre, sans prendre le temps d’une phase de description rigoureuse et objective. Si notre interprétation est juste, tout ira bien. Mais si elle est erronée, il sera difficile de comprendre pourquoi on s’est trompé et de changer d’avis. S’entraîner à bien décrire peut améliorer nos capacités naturelles d’observation.
Faites-le vous-même
Ce défi se réalise à deux. Munissez-vous d’un crayon et d’une feuille de papier. L’un des deux joueurs va essayer de décrire aussi précisément que possible une image pendant 30 secondes (un exemple ci-dessous). Dans le même temps, le second joueur essaie de dessiner au mieux cette image sans la voir, mais en s’appuyant uniquement sur la description de son comparse. À l’issue du temps imparti, vous lirez une liste de critères d’évaluation et marquerez un point pour chaque critère présent sur votre dessin. Vous êtes prêt ? C’est parti !

Débriefing
Vous marquez un point pour chacun des critères suivants :
- Il y a une balle dessinée
- Des rayons sont dessinés sur le parasol
- Le haut de l’arbre arrive au-dessus de tout le reste
- Une chaise est située devant le parasol
- La chaise est moins large que le parasol
Quelle est votre notre sur 5 ? Il y a de grandes chances pour que naissent des débats à n’en plus finir sur les responsabilités réciproques de l’observateur et du dessinateur : le premier accuse le second de ne pas l’avoir bien écouté et le second accuse le premier de ne pas l’avoir bien guidé ! Voilà l’occasion de se rendre compte que la description est une activité difficile, notamment sous la contrainte du temps, et qu’elle est en partie subjective (ce que l’on choisit de regarder en premier ou avec plus d’attention varie d’une personne à l’autre). Tout l’objectif est de parvenir à trouver une procédure explicite pour rendre plus efficace la description. Réaliser un dessin d’observation est un exercice délicat, mais il nous oblige à prendre le temps, à porter notre attention sur des détails et à chercher des éléments précis sur lesquels s’appuyer. Un excellent travail pour améliorer son observation !
Ce que font les scientifiques
Les scientifiques ont conscience que, comme pour chacun d’entre nous, leurs observations spontanées risquent de laisser de côté des détails pourtant importants pour la reconnaissance et la compréhension d’un phénomène. Pour réussir à porter l’attention sur les détails les plus significatifs, ils s’appuient donc sur des stratégies. Ils adoptent un vocabulaire de description technique qui simplifie leur mission. Ils se réfèrent à des mesures et à des repères qui rendent leurs descriptions plus objectives. Ils se demanderont par exemple : “Quelle est la taille et quelle est la position de l’objet que j’observe, relativement aux autres ? En combien d’exemplaires est-il présent ?” En guidant ainsi leur travail, ils s’efforcent de bien prendre le temps d’une phase de description attentive et rigoureuse. Avec l’aide de connaissances et de critères établis à l’avance, ils pourront ensuite parvenir à une conclusion encore plus pertinente.
Une histoire de science
Qu’est-ce que la science ? Quels sont les éléments constitutifs qui la rendent spéciale et garantissent sa capacité à produire des connaissances autant que possible objectives ? Nous pensons spontanément à l’expérimentation scientifique, au raisonnement. Plus rarement, nous citons l’observation scientifique et ses propriétés. Comme d’autres concepts de la science, l’observation a son histoire. Elle émerge comme un concept séparé de celui de l’expérience et de l’expérimentation au cours de la Renaissance, grâce aux observations menées de façon systématique par des astronomes, médecins et juristes. Certes, les astronomes scrutaient déjà le ciel et prenaient des notes sur leurs observations, avant même que le concept ne prenne tout son sens. Mais la nature systématique, désintéressée (observer au service de la connaissance, plutôt qu’à des fins utilitaires, comme la prédiction du temps qu’il fera), minutieuse de l’observation s’affirme petit à petit. Son importance pour la pratique scientifique ne fera que grandir, et ce, même si – après la révolution scientifique – la science sera de plus en plus associée à l’idée d’expérience scientifique par le grand public.
Considéré comme le père de l’anatomie scientifique, Andreas Vesalius est une figure princeps de l’observation à la Renaissance. Tout en s’inspirant, comme tous les médecins de l’époque, des œuvres de Galien – qui faisaient la loi en médecine depuis le XIIe siècle –, Vesalius s’attaque avec une attention particulière à la dissection des cadavres. En comparant ses observations à celles rapportées dans les livres de Galien, il s’aperçoit que la source des erreurs de ce dernier est très simple : Galien n’a jamais observé, et encore moins disséqué, un cadavre humain. À 25 ans, Vesalius était prêt à défier la tradition et à révéler à chacun la vérité sur l’anatomie humaine – et les nombreuses différences avec celle d’autres animaux, mieux connus de Galien. Ses découvertes seront collectées dans le traité La fabrique du corps humain. Vesalius n’opère pas seul. Il s’entoure de collaborateurs issus du monde artistique – les dessinateurs et peintres du laboratoire de Titien, à Venise –, le dessin s’affirmant comme un outil fondamental de l’observation. Vesalius est un exemple essentiel de l’observation qui prend le pas sur la pure conjecture, mais aussi sur la tradition, et qui devient source de preuve grâce à sa rigueur, mais aussi à sa nature systématique et portée à chaque détail.
Pour éduquer l’esprit critique
Notre observation du monde est nécessairement rapide et limitée. Prendre le temps de décrire de manière méthodique et rigoureuse nous permet de voir des détails qui, autrement, échapperaient à notre regard.
Une connaissance issue d’une observation rigoureuse, attentive, précise et riche de détails donne plus de gages de fiabilité. La mesure, à l’aide d’outils pensés pour réduire les risques d’erreur dans l’évaluation d’un phénomène et gagner en précision, fait partie d’une observation détaillée, rigoureuse.
Parfois, il n’est pas possible de produire de telles descriptions et, encore moins, de prendre des mesures. Un cas typique est celui du récit d’un témoin qui assiste à un événement bref et qui n’a ni le temps ni la possibilité de remarquer tous les détails de la scène. Seuls les plus saillants et ceux qui « parlent » à sa mémoire et à son imagination sont enregistrés. Que faire alors dans de tels cas ? Faire preuve d’esprit critique signifie savoir reconnaître que ce genre de situation n’est pas idéal pour une observation fiable. Il faudrait donc être prêt à se fier un peu moins aux observations recueillies dans des circonstances similaires – même si on en est à l’origine.
Activités pour la classe
En cours de sciences, on demande parfois aux élèves de réaliser des dessins d’observation. De même que l’on demande de décrire de façon détaillée et précise les phénomènes observés pendant une manipulation ou un travail pratique, il est nécessaire d’expliquer l’intérêt d’une telle démarche : cela nous aide à prendre le temps d’observer et à focaliser notre attention sur des détails qui nous échapperaient inévitablement, celle-ci étant limitée.
De la même manière, pendant une sortie, demander une description détaillée de l’environnement, d’un objet ou encore d’un phénomène observé permet d’en révéler des aspects que la simple observation spontanée risque de manquer. En résulte une impression plus riche, mais aussi potentiellement plus objective.
Voici des exemples d’activités qui pourront s’adapter à différents domaines disciplinaires :
- Séquence : Portraits de chats (à partir du cycle 2)
- Séquence : De l’impression à la mesure (à partir du cycle 2)
- Séquence : Mesurer des feuilles d’arbre (à partir du cycle 3)
- Séquence : Les archéologues du futur (à partir du cycle 3)
- Séquence : L’œil de l’expert (à partir du cycle 3)