2 – Aborder les questions sensibles
(évolution, vaccins, OGM, clonage…)
- L’enseignement de l’esprit critique ne peut pas s’ancrer uniquement, ni en tout premier lieu, sur des thématiques délicates pouvant braquer les élèves.
- L’enseignement de l’esprit critique doit plutôt se faire sur des thématiques neutres, simples, dépourvues d’un contexte chargé.
Une manière tentante d’aborder l’enseignement de l’esprit critique consiste à partir de but en blanc sur des sujets qui nous touchent particulièrement, ou pour lesquels nous pensons qu’il est de notre devoir professionnel d’attaquer les fausses vérités qui s’y rapportent. Il est malheureusement souvent contre-productif de procéder ainsi, pour au moins trois raisons.
Premièrement, certains thèmes de discussion comportent une dimension sociale dans le sens où nous défendons une opinion qui signe notre appartenance à un groupe. Il se peut par exemple que dans notre entourage, notre famille, tout le monde soit en faveur d’une idée, ou convaincu qu’une théorie est fausse. Quand c’est le cas, abandonner ses idées est extrêmement difficile. Des études ont même mis en évidence que chercher à convaincre par des arguments et des preuves (même de qualité) peut produire l’effet opposé à celui espéré, c’est-à-dire renforcer la position erronée.
Deuxièmement, lorsque nous enseignons une fausse croyance pour la déconstruire, nous risquons en réalité de la renforcer par le simple fait d’en parler. Les élèves qui n’auraient pas entendu la fausse croyance y seraient maintenant exposés. De plus, il est facile pour l’apprenant d’oublier que l’idée lui a été présentée par l’enseignant comme fausse. Malgré les efforts de ce dernier pour déconstruire l’idée, celle-ci est en réalité mémorisée comme vraie. Des stratégies existent pour atténuer ce phénomène mais il faut avoir conscience de son existence.
Troisièmement, si nous nous concentrons sur des thèmes sensibles, nous risquons de focaliser toute l’attention de l’élève sur un contexte très particulier. Les outils enseignés ne seront donc nullement transférables et il sera vain de penser que nous avons développé l’esprit critique de l’élève.
L’approche proposée dans ce livret consiste à développer la capacité des élèves à évaluer les informations disponibles. C’est une tâche suffisamment délicate pour être enseignée dans des situations plus favorables, plus neutres, à la fois pour l’élève et pour l’enseignant.
Cela veut-il dire qu’il ne faut pas aborder des thèmes comme la théorie de l’évolution ? Bien sûr que non ! Au moment d’aborder des sujets plus délicats, nous pourrons remobiliser tous les outils de l’esprit scientifique et critique appris jusqu’alors. Il serait cependant illusoire de penser que l’élève pourra facilement les importer et faire tomber tous les obstacles de sa compréhension de la théorie de l’évolution. Pour plusieurs raisons :
- lorsque l’élève découvrira cette thématique, il disposera de peu de connaissances solides, alors qu’exercer son esprit critique ne peut pas se faire sans connaissances ;
- le contexte très chargé de cette thématique rendra particulièrement difficile le repérage de la structure profonde des obstacles rencontrés (le rôle du hasard par exemple, le raisonnement par les conséquences, etc.) ;
- chaque théorie a ses propres écueils, ses propres obstacles, que nous retrouvons difficilement ailleurs et qui freineront la compréhension globale tant qu’ils perdurent.
Malgré tout, il est raisonnable de penser que le travail en amont sur des outils transférables (aussi bien la connaissance de nos propres limites que la connaissance plus épistémologique du fonctionnement de la science, de la nature du fait scientifique par rapport à l’opinion, etc.) pourra favorablement influencer la découverte d’une théorie, comme celle de l’évolution par exemple.
Nous n’invitons donc pas les enseignants à ne pas traiter de telles thématiques, et à ne pas les relier à l’enseignement de l’esprit critique ! Nous soulignons cependant leur caractère délicat, les difficultés propres qu’elles soulèvent. Nous concluons qu’elles ne devraient pas constituer le cadre unique pour un enseignement de l’esprit critique, ou le point de départ d’un tel enseignement.