1 – Trouver la place (et le temps) pour enseigner l’esprit critique

  • L’enseignement de l’esprit critique n’implique pas nécessairement de se départir des contenus curriculaires de l’enseignement : vous pouvez tout à fait enseigner l’esprit critique et réaliser le programme prévu dans le BO !
  • Enseigner l’esprit critique ne revient pas à proposer un projet sur l’esprit critique tout en conservant par ailleurs vos cours à l’identique. Vous pouvez, bien sûr, le faire, mais vous vous offrirez alors moins de chances de voir les apprentissages se généraliser et être transférés dans d’autres domaines, notamment dans la vie quotidienne. Or, ce transfert est l’objectif final de ce type d’enseignement.
  • Il est donc conseillé de penser l’enseignement de l’esprit critique comme une diffusion régulière de regards sur nos modalités d’évaluation des informations, leurs limites et les outils qui permettent de les améliorer.

Nous ne recommandons pas un enseignement de l’esprit critique sous la forme d’un projet dédié qui serait circonscrit à une thématique donnée, pendant un temps restreint durant l’année. En réalité, nous ne recommandons pas de bouleversements des pratiques pédagogiques de l’enseignant. Qu’il fonctionne ou non en projets, son objectif devra être d’injecter le plus souvent possible et dans le plus de situations diverses possibles des « gouttes » d’esprit critique

À l’école et notamment en cours de sciences, l’élève découvre de nombreux outils de raisonnement. L’objectif d’un enseignement de l’esprit scientifique et critique est de l’aider à s’affranchir de l’influence du contexte dans lequel il a découvert cet outil de raisonnement. L’élève doit comprendre qu’il est possible de réutiliser le même outil dans un grand nombre de situations, à condition de reconnaître les analogies entre les différentes situations. Par exemple, en sciences, il abordera de manière récurrente des compétences autour de la causalité (déterminer la cause et la conséquence d’un phénomène, ne pas confondre corrélation et causalité, comprendre qu’un même phénomène a souvent de nombreuses causes pour éviter les raisonnements simplistes). 

Pour chacune de ces compétences, l’enseignant devra passer par une phase d’explicitation et de généralisation. En effet, l’élève qui découvre la distinction entre corrélation et causalité dans un domaine particulier – électricité ou immunologie par exemple (voir les activités ci-dessous) – pensera qu’il est confronté à un problème de physique ou de biologie et il aura alors du mal à percevoir l’analogie entre les deux situations s’il les croise successivement dans sa scolarité… à moins que les différents enseignants l’amènent à ce constat. Nous caractérisons l’enseignement de l’esprit critique comme un effort pour rendre explicite les outils de raisonnement d’ores-et-déjà enseignés dans les programmes disciplinaires. Si l’élève devient capable de mobiliser ces outils dans le contexte de la vie quotidienne, il aura développé sa capacité à évaluer les informations qu’il récolte et auxquelles il est confronté, et ainsi forgé son esprit critique.

Comprendre par l’exemple

Vous n’auriez pas pu apprendre à conduire sans vous exercez dans un contexte particulier (conduire une voiture à la campagne par exemple). Ce contexte est ce qui a permis votre apprentissage : vous avez appris à cerner les obstacles de cette activité, vous avez décliné les conseils et les stratégies que l’on vous a transmis dans ce cadre bien précis pour vous les approprier. Cependant, plus le transfert à un autre contexte est éloigné, plus l’exercice de vos compétences est délicat (conduire une voiture en ville, conduire une moto sur du sable…). Cela ne veut pas dire que vous n’avez pas appris à conduire plus généralement : vous devez cependant, dans chaque situation nouvellement rencontrée, apprendre à reconnaître celles qui correspondent à la situation d’apprentissage et adapter vos outils et vos stratégies au nouveau contexte, voire en développer de nouveaux s’ils ne fonctionnent plus.

L’élève doit passer par les mêmes obstacles avec les outils de l’esprit critique. Prenons par exemple l’outil suivant : « Ne pas rester sur sa première idée et penser à des explications alternatives. » Si la lampe de poche tombe en panne, nous pensons qu’il peut s’agir d’un problème de piles. Mais il est intéressant d’envisager d’autres explications possibles – l’ampoule par exemple. Si une maladie se propage plus rapidement dans un village que dans un autre, nous pourrions penser que les habitants disposent de moins d’accès aux soins, ou qu’ils se croisent plus souvent. De même, dans des cas de la vie quotidienne banals (pourquoi notre équipe préférée ne joue pas bien ?) ou plus sérieux (pourquoi un conflit apparaît-il dans un pays donné ?), il est nécessaire de chercher des causes alternatives aux causes immédiatement disponibles. Le fait que nous « sautions » sur la première explication venue et que nous ne faisions pas l’effort spontané de chercher des causes alternatives est une connaissance que doit posséder un bon penseur critique. Mais c’est une connaissance qu’il est aussi impossible d’enseigner en dehors de tout contexte, et difficile à importer dans un nouveau contexte. Il faut donc entraîner cette attitude le plus régulièrement possible, dans les contextes les plus diversifiés possibles, pour qu’elle soit progressivement mieux maîtrisée.

Ainsi, l’enseignant peut donc conserver ses modalités d’enseignement et surtout continuer à suivre le programme. Il s’inspirera, selon sa discipline, des exemples que nous proposons, disciplinaires ou adisciplinaires. Il reconnaîtra les outils et critères du bon raisonnement critique. Il les injectera dans ses propres cours, aussi régulièrement que possible, de manière explicite, éventuellement en soulignant les analogies avec d’autres situations rencontrées par les élèves dans d’autres disciplines. C’est de cette manière que nous pourrons espérer développer un réel esprit critique chez les élèves