Une enquête pour l’esprit critique

RESSOURCE PÉDAGOGIQUE

L’esprit critique en s’amusant

Dans l’équipe des concepteurs des ressources pour l’esprit critique, on aime beaucoup les jeux et les ambiances immersives ! Quand on a souhaité faire travailler les élèves sur la notion de causalité au collège, on s’est inspiré d’une histoire vraie : celle de la découverte par Ignaz Semmelweis des règles d’hygiène, ouvrant la voie des découvertes sur l’origine microbienne des épidémies. Semmelweis s’est confrontée à une épidémie étonnante de fièvre puerpérale, touchant un service sur les deux d’un même hôpital. Mener une telle enquête revient à formuler des hypothèses sur la cause de la maladie puis chercher avec rigueur et honnêteté des indices en faveur de l’une ou l’autre des hypothèses.

Nous vous livrons maintenant le témoignage d’un enseignant de SVT, Clément Bastie, enseignant de SVT à Pierrelatte dans la Drôme, au collège Gustave Jaume. Il a réalisé cette activité en interdisciplinarité. C’est lui qui nous en parle.

« Avec un collègue enseignant en mathématiques, nous avons décidé de mener cette activité avec deux classes de troisièmes. L’organisation a été contrainte par nos emplois du temps, nous aurions aimé tout faire en co-intervention, mais nous n’avons pu faire que l’introduction à deux. Nous avons d’abord replacé nos élèves dans le contexte historique, sans trop leur dévoiler l’ampleur de la tâche à réaliser, ils ne savaient même pas que ça allait durer plusieurs séances. Ainsi, ils ont eu l’impression de faire une activité un peu à part, qui s’est poursuivie à leur demande sur une autre séance, dans une autre discipline. C’était très plaisant de les voir aussi investis. Des élèves décrocheurs ayant souvent du mal à se mettre au travail se sont vraiment pris au jeu. On leur distillait les indices petit à petit, de sorte que chaque groupe avance à son rythme. »

La recherche de cause dans la vie quotidienne et en sciences

Dans notre vie quotidienne, nous proposons en permanence des explications aux événements qui arrivent : un coup de fatigue, un collègue en retard, un ordinateur en panne, la météo changeante, la performance d’un élève… pour chaque observation ou presque nous imaginons spontanément des causes. Souvent, nous prenons ces intuitions pour argent comptant ! Il est normal de ne pas chercher des preuves pour chaque chose qu’on affirme et nos intuitions sont souvent bonnes. Cependant, lorsque les enjeux sont importants, nous pouvons nous satisfaire à tort de nos hypothèses. Or celles-ci peuvent être fausses : par exemple, il est tentant lorsque deux phénomènes arrivent en même temps de considérer le premier comme la cause du second. Si on observe plus d’attaques de requins sur la plage où l’on vend plus de glace, on pourra penser que la consommation de glace favorise les accidents ! En science, un protocole est toujours mis en place pour vérifier la validité d’une hypothèse.

« Dans l’enquête de Semmelweis, on en vient ainsi à penser que les hommes sont responsables de la maladie car ils sont plus brutaux. Un grand moment de l’activité a été le rebondissement de cette hypothèse précisément. Les élèves étaient persuadés d’être arrivés au bout de l’enquête. C’était génial de les voir tout remettre en cause et encore approfondir leurs recherches. Ils ont appris l’importance de valider une hypothèse avec des preuves. Une manière d’argumenter en faveur ou contre cette hypothèse consiste à comparer le sort de femmes du même service qui sont soignés par des hommes brutaux et d’autres qui font attention. On se retrouve ainsi dans un cadre expérimental où l’on fait varier un unique facteur. Les élèves ont découvert que l’hypothèse tombait et qu’il fallait chercher plus loin ! »

Marier les programmes de sciences et l’éducation à l’esprit critique

Le parti pris de la Fondation La Main à la Pâte n’est pas d’ajouter une éducation à l’esprit critique en plus des programmes, mais au contraire de distiller des gouttes d’esprit critique chaque fois que cela est possible. Si nous pouvons avoir confiance dans la connaissance scientifique, c’est par exemple du fait des stratégies qu’elle met en oeuvre dans la recherche de causes, ce qui évite les pièges de notre raisonnement naturel. Apprendre cela aux élèves peut se faire en partant des cours disciplinaires classiques. Bien entendu, l’interdisciplinarité devient un atout sur lequel s’appuyer.

« Mon collègue de mathématiques a pu travailler des notions de statistiques, en insistant sur le caractère significatif des valeurs. En SVT, j’ai pu inclure cette activité dans le thème sur les défenses de l’organisme : c’est un très bon moyen d’introduire la notion de micro-organismes pathogènes, et on aurait même pu aller jusqu’à une observation microscopique si le temps nous l’avait permis. Surtout nous avons pu, à la fin de la séance, parer du piège des corrélations (on parle de l’effet cigogne) avec d’autres exemples faciles d’accès. Nous avons ainsi fait le lien entre l’esprit scientifique et l’esprit critique. Une très belle activité. Merci à ses concepteurs.trices ! »

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Le logiciel Thyp et les gouttes d’esprit critique

LOGICIEL

Guillaume Berthelot est professeur de S.V.T dans le collège Jean de la Fontaine au Mée sur Seine dans l’académie de Créteil, collège membre de notre réseau des collèges pilotes. Guillaume est un adepte des créations numériques et nous voulions vous présenter l’une d’elles : le logiciel Thyp (pour Teste tes HYPothèses). Ce logiciel gratuit et très efficace permet de simuler des expériences très diverses sur le monde vivant.

La mise à l’épreuve des hypothèses est une caractéristique fondamentale de la science. Dans notre vie quotidienne, nous nous satisfaisons souvent d’intuitions. Nous pourrions par exemple déclarer : « je suis persuadé que je vais mieux grâce à ça », mais nous n’avons pas le temps, les moyens ou l’envie de vérifier la validité de cette affirmation. La science cherche, quant à elle, à produire des informations fiables, éprouvées. C’est la raison principale qui motive la confiance que l’on peut accorder à ses conclusions.

Quelles sont les caractéristiques de la démarche scientifique qui permettent cela ? Elles sont nombreuses, mais citons-en deux, très récurrentes : la multiplication des observations, le recours à des comparaisons entre situations qui ne diffèrent que par un seul facteur.

Une goutte pour l’esprit critique : multiplier les observations

Le monde réel est complexe et il est impossible de le comprendre en s’appuyant sur des observations uniques. Une connaissance ne devient rigoureuse (par exemple : l’hiver est une saison froide, le soleil se lève à l’est, les êtres vivants sont constituées de cellules) que lorsqu’elle s’appuie sur des observations répétées. Il est pourtant tentant (et souvent fondé) de s’appuyer dans notre vie quotidienne sur des observations limitées. Lorsqu’il s’agit de sujets complexes (santé, environnement…), il est judicieux de ne pas accorder autant de confiance à nos intuitions fondées sur des observations restreintes qu’aux conclusions issues de la recherche scientifique.

Pour que les élèves perçoivent l’importance de la multiplication des observations, il faut leur faire réaliser l’influence du hasard dans des jeux de données limitées. Dans notre activité sur l’Enquête Moineaux, nous parvenons à cet objectif en faisant en sorte que des groupes d’élèves différents placés dans les mêmes conditions observent un nombre différent d’oiseaux. En les interrogeant sur les causes possibles de ces différences, les élèves proposent plusieurs explications : la présence de travaux, les conditions météorologiques, etc. Nous n’avons pas forcément à les considérer mais nous devons comprendre que seules des observations multiples peuvent mener vers des conclusions fiables.

En plus de la confusion classique climat/météo, s’appuyer sur les températures d’une semaine pour parler d’une tendance globale est une généralisation abusive

Enseigner c’est répéter !

Revenons au logiciel Thyp. L’une de ses forces est qu’il reproduit la complexité du vivant. L’auteur de Thyp, Guillaume, nous explique : « A chaque fois que l’on clique pour choisir un cobaye, le logiciel génère un individu unique. Par exemple, lorsque que l’on clique sur une souris, les algorithmes du logiciel attribue au cobaye des paramètres physiologiques uniques comme le poids, la taille,… En ouvrant thyp dans 5 onglets différents, on travaille sur 5 cobayes uniques. Autre exemple, si l’on injecte une bactérie mortelle dans la souris, seule 10 % survivront … Il m’est arrivé d’ouvrir une vingtaine de fois le logiciel pour trouver une souris survivante … mais quelle surprise chez les élèves à ce moment-là ! La séance se lance toute seule ensuite…« 

Comme le logiciel est utilisé de manière récurrente, les élèves apprennent progressivement qu’il n’est pas possible de tirer de conclusions fiables à partir d’un nombre limité d’observations. Placée dans des conditions données, une graine peut germer ou ne pas germer, sans que ce soit révélateur d’une loi généralisable. Seule la répétition des observations permet de tirer des conclusions solides. Il est possible de prolonger cette réflexion en la reliant à des outils mathématiques statistiques qui permettent de tirer de l’information à partir d’un jeu d’observations.

Guillaume précise : « Quand j’évalue les élèves, je leur donne le niveau atteint. Pour atteindre le niveau expert à la compétence « élaborer une stratégie de résolution », il est nécessaire qu’ils aient répété l’expérience. S’ils ne l’ont pas fait, j’explique toujours pourquoi une seule observation ne suffit pas. Peut-être que par hasard cette souris était déjà stérile, et donc que la manipulation n’a en réalité rien provoqué. Ce travail, je le commence dès la sixième avec la germination des graines et je le poursuis dans des contextes plus difficile, en complexifiant chaque fois les explications.« 

De l’esprit scientifique à l’esprit critique

Toute cette réflexion n’est pas propre aux expériences de biologie. En EPS par exemple, pour savoir si un certain type de lancer est plus efficace qu’un autre, il est là aussi nécessaire de multiplier les observations. Dans chaque discipline ou presque on pourra trouver des situations qui permettent de faire prendre conscience aux élèves qu’une conclusion basée sur des observations uniques n’est pas digne de confiance.

Il est ensuite capital de faire comprendre aux élèves que ce constat est aussi valable dans notre quotidien. Les élèves reconnaissent par exemple qu’une évaluation unique ne traduit pas vraiment son niveau scolaire, d’où le recours à des moyennes qui s’appuient sur des évaluations multiples. Certains stéréotypes véhiculent également des idées fausses, en généralisant de manière abusive des observations restreintes.

Les cours de sciences – mais au final de toute discipline qui intègre un esprit scientifique – offrent la possibilité d’aider les élèves à compléter leur panoplie d’outils de raisonnement. L’exploitation du logiciel Thyp permet de répéter encore et encore le même message pour que les élèves s’en imprègnent. Cette première étape (l’explicitation et la répétition du même message) est indispensable mais encore insuffisante. Pour forger l’esprit critique des élèves, il est ensuite nécessaire d’exposer les élèves à des situations de la vie quotidienne où différentes affirmations sont données et de les amener à reconnaître celles qui s’appuient sur des observations répétées et de les associer à des affirmations plus dignes de confiance. Pour atteindre cet objectif, des quiz peuvent être proposés en fin de séance.


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Comment cultiver l’esprit critique à tous les âges ?

PODCAST

Comment cultiver l’esprit critique à tous les âges ? France Inter, émission « Grand bien vous fasse », avec notamment Elena Pasquinelli, 19 février 2020

Développer son esprit critique face à la désinformation, aux fausses nouvelles, aux manipulations idéologiques et publicitaires. Mais comment exercer sereinement son esprit critique au temps d’Internet et des réseaux sociaux ? Quelles sont les bases fondamentales pour cultiver cet esprit ? Comment éviter que les raisonnements butent sur des biais cognitifs ? Comment construire une réflexion solide tout en ayant bien conscience que notre cerveau peut nous tromper ?  Nos intuitions et nos émotions sont-elles d’ailleurs forcément les ennemis de l’esprit critique ? Et puis nous verrons s’il faut l’enseigner à l’école ?

Avec : Elena Pasquinelli – Olivier Houdé – Héloïse Lhérété – Lien


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Fables scientifiques

LECTURE

Cunningham C. (2012). Fables scientifiques. Editions Ca et la.

Dans ses Fables scientifiques, Darryl Cunningham déconstruit  minutieusement certains des mythes et théories  pseudoscientifiques propagés par des conspirationnistes, souvent relayés par des journalistes peu scrupuleux qui  sacrifient la fiabilité de l’information au nom du sensationnel. Il décode les controverses qui ont façonné certains des thèmes  les plus âprement débattus de ces dernières années, du  changement climatique à la conquête de la Lune en passant  par le vaccin ROR ou la chiropraxie, et s’attache à fustiger  toute forme de négation de la science. Etayées par des recherches approfondies et de nombreuses sources, élaborées  avec un brin de malice et un grand sens de la vulgarisation, les  Fables Scientifiques nous éclairent sur des questions  complexes et livrent un vibrant plaidoyer en faveur de la  science. (Note de l’éditeur)

Darryl Cunningham est un écrivain britannique et auteur de bande dessinée.


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Une vérité authentique et provisoire. Par Pierre Léna

LECTURE

« Lorsqu’on enseigne les sciences de la nature – laissant ici de côté les mathématiques – ou simplement qu’on en parle, on est souvent confronté à la question de la vérité. Il arrive qu’un péremptoire « c’est scientifique, donc c’est vrai », ferme le dialogue et condamne l’interrogation. Il arrive aussi que la fluctuation des énoncés de la science au cours des âges laisse une impression de variation permanente, qui ferait de chaque énoncé une vérité tellement relative qu’elle en serait sans valeur. Il arrive encore que l’on croie, ou veuille faire croire, qu’en dehors d’une démonstration à caractère scientifique, rien ne puisse approcher la vérité. Y a-t-il une position juste entre ces extrêmes ? Juste parce que féconde dans l’ordre de la science sans être réductrice dans l’ordre de la vie ? 

Juste parce qu’instructive sur les rapports possibles que l’esprit humain peut entretenir avec le monde ? Une position qui permettrait à chacun d’user avec profit de sa raison, donc de mieux vivre, sans mutiler pourtant aucune des autres dimensions de sa personne, ni son rapport aux autres ? »

  • Lire tout l’article (PDF)

Texte de Pierre Léna publié dans Page des libraires, Education, 1998, pp. 36-38. Pierre Léna est astrophysicien. Il est l’un des protagonistes de la naissance de l’astronomie tournée vers l’observation du Soleil et a participé au développement de nombreux instrumetns et techniques d’observation.


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Esprit critique es-tu là ?

LECTURE

Collectif CORTECS (2013). Esprit critique es-tu là ? Books-e-books.

«Un outillage critique est nécessaire aussi bien pour analyser l’information ou distinguer les contenus scientifiques de contenus pseudoscientifiques que pour trier les thérapies, déceler les mensonges à visée commerciale ou de propagande, ou prévenir l’intrusion dans la méthode scientifique d’idéologies comme le racisme, le créationnisme ou l’Intelligent Design…L’outillage présenté par ce livret sera utile à l’étudiant, à l’enseignant ou au chercheur, mais aussi à tous ceux qui souhaitent pouvoir se faire des opinions en toute connaissance de cause en se méfiant des mésusages médiatiques de la science. Les « ateliers » d’esprit critique détaillés dans cet ouvrage ont été conçus et testés avec soin pour permettre de se frotter à l’analyse critique de façon concrète et amusante, mais aussi réellement constructive, en utilisant des supports ludiques, simples et motivants.
Faire une expérience pour arrêter son cœur ou une lévitation en groupe, pratiquer la télékinésie et la torsion des métaux ou analyser des vidéos de fantômes, tester des pouvoirs extraordinaires ou d’autres phénomènes réputés «paranormaux» est en effet un excellent moyen pour mettre en œuvre la démarche scientifique, aiguiser son esprit critique et tenter ainsi de mieux comprendre le monde qui nous entoure.»Lien

Le CORTECS (Collectif de recherche transdisciplinaire esprit critique & sciences) est né en 2010 dans un triangle entre Grenoble, Marseille et Montpellier. Il a pour objectif central la transmission des divers aspects de l’esprit critique, la pensée critique ou sceptique (critical or skeptical thinking chez les anglophones), qu’on la nomme zététique, à la suite d’Henri Broch, hygiène préventive du jugement comme Jean Rostand, ou autodéfense intellectuelle à l’instar de Noam Chomsky. Conjointement, le collectif vise la mise en réseau de toutes les personnes étudiant ou travaillant sur un sujet relatif à l’élaboration, à l’usage ou à la diffusion de la pensée critique, quelle que soit leur origine disciplinaire et leur statut professionnel.


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